Sud Ouest – Charente-Maritime – mardi 9 février 2021
La Rochelais Odile Grosset-Grange, figure montante du théâtre jeune public, met en scène sa nouvelle création. Elle y interroge la parentalité, l’enfance et la force du manque.
Elle nous entraine tout de suite sur le plateau pour voir le décor, tout bleu, et saluer le travail des techniciens qui préparent les éclairages pour l’après-midi. La Rochelaise Odile Grosset-Grange fait partie des chanceux : avec sa compagnie, elle est en résidence toute la semaine à La Coursive. Elle met en scène « Et puis on a sauté ! » écrite par la dramaturge Pauline Sales, un nouveau conte sur l’enfance, l’absence des parents et la force du manque. Figure montante du théâtre jeune public dont les pièces sont jouées partout en France, Odile Grosset-Grange, 46 ans, savoure une parenthèse qu’elle sait éphémère : sa pièce ne sera certainement pas jouée, début mars, comme programmée, crise sanitaire oblige. De l’enthousiasme, de l’angoisse, beaucoup d’incertitudes, un bien étrange moment pour l’artiste passionnée qu’elle est.
« Sud Ouest » : De quoi parle « Et puis on a sauté ! », votre nouvelle création
Odile Grosset Grange : ça marle de l’absence des parents, de leurs vies hyper chargées, et comment les enfants se construisent avec ça. Dans la pièce ; deux enfants vont avoir des réactions différentes dace à cette problématique. Ellen est assez angoissée, ne le vit pas bien, lui est plus léger et ne le vit pas mal. Ils ont des parents normaux ; divorcés, occupés… Les deux enfants sont dans leur chambre, à l’heure de la sieste, ils trouvent que c’est une arnaque. Alors ils se demandent comment attirer leur attention. On peut avoir des mauvaises notes, taper des gens gentils, se rouler par terre au supermarché… Eux vont décider de se jeter par la fenêtre du dixième.
C’est une bêtise très très grave, mais c’est une pièce pour jeune public alors ils vont tomber dans une faille spatio-temporelle, un univers onirique et ils vont se poser des tas de questions très philosophiques sur la vie, l’amour, la mort…
Après le sort des migrants, la place des filles dans la société, vous interrogez la parentalité… Quelle était votre idée première lorsque vous avez passé commande d’un texte à Paule Sales ?
Mon sujet de départ, c’était l’absence, comment on se construit avec ça. En tant que comédienne, metteuse en scène qui aime beaucoup travailler, j’étais moi-même très souvent absente pour ma fille. Un jour sa maitresse est venue me voir avec un air ennuyé pour me dire que ma fille ne savait jamais quand je partais ! On a beaucoup échangé avec Pauline Sales, et on a vu que cette question, comment on se positionnait en tant que mère ou père, était très présente. Qu’est-ce que les parents sont prêts à lâcher l’un et l’autre pour s’occuper de leurs enfants ? Qui lâche quoi dans le couple ? C’est un sujet super moderne. Autrefois les femmes étaient au foyer s’occupaient es tâches ménagères, les enfants étaient moins considérés en tant qu’individus Pauline a emmené avec beaucoup de subtilité cette question de l’émancipation de la femme. Comment existe-t-elle en dehors des enfants ?
Et alors, qui lâche quoi dans le couple pour s’occuper des enfants ?
C’est un problème insoluble mais passionnant. Nous, on dit que les deux parents ont raison. Tous les parents du monde se sont déjà posé cette question ; pourquoi a-t-on toujours envie de se débarrasser de ce qu’on a de plus cher au monde ?
Comme toutes les histoires que vous mettez en scène, qui sont des récits initiatiques, quelle est la morale de « Et puis on a sauté » ?
On a tous des manques et des trous, on apprend se construire avec et c’est beau aussi. Apprendre à faire, c’est aussi apprendre à être fort. Dans la pièce, les deux enfants doivent suivre une fourmi qui s’est perdue dans la faille spatio-temporelle, et la sœur dit à son frère cette phrase que je trouve très belle ; « à force de se tromper elle fa finir par y arriver ». Bien sûr quand on écrit pour le jeune public, il faut apporter de la lumière sur des problématiques graves. La pièce est gave mais très drôle. On rit beaucoup.
Vous avez la chance de créer en ce moment, votre résidence a été maintenue mais c’est peu probable que la pièce soit jouée comme prévu début mars. Dans quel état d’esprit êtes-vous ?
C’est très dur. On passe notre vie à prévoir des choses qu’on finit par annuler. Entre septembre et juin on avait 150 représentations prévues. On a joué seulement une dizaine de jours en octobre, avant le confinement. J’ai réussi à maintenir une activité parce que les théâtres ont respecté leurs engagements, on a touché le chômage partiel, mais aujourd’hui, ce qui est très angoissant c’est qu’on ne sait pas combien de temps ça va durer, comment ça va s’arrêter, quelles habitudes se sont installées… ça va devenir dur financièrement et qui va vouloir investir sur nos projets ?
Est-ce une période seulement mortifère pour les artistes ou est-ce aussi l’occasion de se réinventer ?
En attendant, qu’est ce qu’on peut imaginer pour que cette croise soit vivable ? Bien sûr, je crois très fort que la rencontre d’un texte avec un public c’est très important. Qu’est ce qu’on peut imaginer pour que la culture vive et que les enfants aient accès aux spectacles ? Nous avons développé ce que j’appelle « des formats de guerre », nous allons jouer dans des classes mais jouer devant 30 enfants ce n’est pas un modèle économique rentable. Quand on a pu aller dans les écoles, j’ai eu le sentiment que les enfants avaient un besoin énorme de transcendance, d’imaginaire, d’histoires comme les adultes, ils sont sous pression. Il y a une nécessité à être tout terrain, à trouver des formules sans se mettre en danger, à ouvrir les théâtres pour des séances scolaires… Je fourmille d’idées, j’ai plein d’envies, il faut vivre des formes nouvelles, des lectures, des monologues dans les classes, même si ces formats ne peuvent pas remplacer les grands plateaux. Le plateau c’est une magie différente, une autre expérience. Pour le moment, j’ai aussi envie de saisir toutes les opportunités. Cet été j’ai accepté de jouer dans un festival en plein air, le mois ou je dors habituellement !
Agnès Lanoëlle